Le racisme vu par les noirs

Il y a quelques semaines, j’ai visité le Musée da Silva de Porto-Novo, musée qui rend hommage à l’histoire des afro-brésiliens ayant vécu au Bénin et ayant subi les affres de la traite négrière. Ma visite du musée a débuté par des images très impressionnantes de Martin Luther King, le patriarche de la lutte contre le racisme.

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots – Martin Luther King

C’est à la lecture de ces mots que je me suis interrogé sur comment les noirs, les africains du XXIè siècle concevaient la question du racisme, qui occupe une grande place dans le débat public en ce moment.

Avant tout propos, il n’est pas inutile de rappeler que le racisme sous toutes ses formes est interdit. Plusieurs textes, de droit international notamment, l’interdisent expressément à commencer par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, qui en son célèbre article 2 déclare que les droits qu’elle proclame s’adressent à tous les hommes “sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, […]”. A côté de cette déclaration, on retrouve la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, signée et ratifiée par 179 pays .

Mais, c’est quoi le racisme ?

98,6% des sondés ont déclaré savoir ce que c’est que le racisme.

Deux personnalités publiques m’ont fait l’honneur de me donner leur définition du racisme à travers des interviews :

“C’est une classification des gens en fonction d’un critère subjectif pour asseoir une supériorité de certains par rapport à d’autre” selon Rudy Casbi. C’est une définition assez juste, mais celle d’Assa Traoré est encore plus personnelle et révèle le caractère tragique que peut prendre le racisme.

Le racisme vu par les noirs Assa Traoré Les Bavards du Droit 1

Pour elle le racisme “C’est quand tu n’es plus libre sur ta personne, quand tu subis de l’autoritarisme, de la répression, et que tu peux en mourir. Mon frère (Adama Traoré) en est mort ce 19 juillet 2016 parce qu’il était noir”. 

Le colonialisme et l’esclavage, les racines du mal

On se demande pour quelles raisons il existe encore des personnes qui se comportent de façon hostile envers des personnes de couleur.

Sondage sur le racisme vu par les noirs. 22,5% ont déjà été victimes de racisme.

22,5% des enquêtés ont déclaré avoir été victime de racisme. Ce qui reste un taux assez élevé en Afrique où la plupart de la population est noire.

Les raisons que l’on peut détecter sont aussi diverses que variées. Le racisme selon Assa Traoré : “c’est la conséquence de l’esclavagisme et du colonialisme que les européens ont perpétré en Afrique. Nous subissons encore les conséquences de l’esclavage et du colonialisme aujourd’hui. Quand on compare certaines situations qu’il y avait au moment de l’esclavage et celles qu’on vit aujourd’hui, c’est exactement la même chose. Il n’y a pas eu de réparation envers les peuples qui ont subi ça.  Et il faut réussir à casser ça. Sinon, rien ne va changer.”

Fresque de la façade du Musée da Silva de Porto-Novo relative au racisme (discriminations raciales) subi par les africains durant l'esclavage
Fresque de la façade du Musée da Silva – Porto-Novo, Bénin sur le racisme subi par les noirs au moment de l’esclavage

En effet, les discriminations raciales étaient fréquentes durant l’esclavage et le colonialisme. Elles étaient même les fondements de ces systèmes d’exploitation de l’homme noir par l’homme blanc. On se rend compte de la portée de l’analyse d’Assa Traoré quand elle parle de son frère Adama, décédé suite à une interpellation policière et dont l’affaire est encore devant les tribunaux.

Racisme vu par les les noirs - Assa Traoré parle de la pièce d'identité qui est un gilet par balle

“Le jour où il a été abattu, la Mairie lui avait demandé de passer chercher sa pièce d’identité. La pièce d’identité est un bouclier, un gilet par balle. Il a été abattu parce qu’il n’avait pas ce bouclier, ce gilet par balle. » Assa Traoré @bavardsdudroit

(…) Mon frère a été victime d’un contrôle de fasciès, parce qu’il était un homme noir et qu’il n’avait pas sa pièce d’identité.”

Le cas d’Adama Traoré n’est pas isolé quand on voit tous les noirs qui ont perdu la vie à cause de violences policières ou de racisme outre-Atlantique.

L’autre raison que semble évoquer Assa Traoré est l’ascendant économique qu’auraient certains sur d’autres. Cet ascendant économique est pour Rudy Casbi, la principale raison d’être du racisme.

Le sous-développement, la sève alimentant le racisme

“Des intérêts économiques sont en jeu. Le meilleur moyen de gagner la bataille est économique” déclare Rudy Casbi. Il compare la situation des noirs avec celle des asiatiques qui ne sont pas moins épargnés par le racisme, surtout avec cette épidémie de coronavirus alors que “plus de 3000 personnes meurent en France à cause de la grippe et 800000 pour la pollution de l’air”. Le constat qu’il fait est assez révélateur.

Le Racisme vu par les noirs - Rudy Casbi parle de l'exportation l'identité culturelle africaine

“Ils ont gagné la bataille culturelle avec les restaurants asiatiques partout en France. Il n’y a pas assez de restaurants africains en France (…) Et il n’y a aucun blanc qui dira à Cotonou, qu’il veut manger sauce gombo dans un restaurant. Il ne sait pas ce que c’est.”

C’est donc un problème d’exportation de l’identité noire au monde qu’il soulève. Et ce problème est lié au sous-développement avec une mauvaise utilisation des relations Nord-Sud qui sont encore aujourd’hui plus avantageuses pour les occidentaux que pour les africains ainsi qu’à une éducation à l’entrepreneuriat ratée.

Le racisme vu par les noirs - Rudy Casby pense que l'Afrique est un cimétière d'entreprises

« L’Afrique est un cimetière d’entreprises. Les gens ne savent pas que pour faire de l’agriculture au Bénin il faut aller voir les chefs traditionnels qui sont parfois plus influents que des ministres. Ce n’est dans aucun livre”  – Rudy Casbi @bavardsdudroit

L’Afrique partage en réalité beaucoup de choses avec le monde. Il s’est fait qu’elle ne les a pas suffisamment revendiqué pour que les autres (les européens, les asiatiques…) puissent s’identifier à elle. “Qui sait par exemple qu’on parle plus le swahili au monde que l’allemand ?”

Attention, il y a certes beaucoup de noirs victimes de racisme, mais il faut constater que de plus en plus de racistes naissent parmi les noirs. Qu’en est-il du racisme qui oppose des noirs à d’autres noirs ?

L’ethnocentrisme, la xénophobie et le régionalisme, d’autres branches du racisme

Ulrich Cabrel, un jeune migrant camerounais durant son passage dans l’émission On N’est Pas Couché du 08/02/2020  sur France 2 regrettait la façon dont les frères noirs traitent leurs frères noirs.

Il y a des noirs qui maltraitent les noirs chez les Blancs

Ulrich Cabrel et Etienne Longueville dans Boza

C’est aussi ce problème qu’il faut soulever ici : le racisme entre noirs lié ou pas à la grande diversité du continent. On peut citer à titre illustratif les affrontements entre taxis guinnéens et sénégalais, entre noirs et berrhes (pays maghrébins notamment) ou encore entre les sud-africains et les nigérians. Pour Assa Traoré, “(…) Ce n’est pas la même chose. Les gens subissent des misères économiques. Chacun se lève chaque jour pour avancer économiquement. Quand tu es dans ces misères économiques, tu ne veux pas qu’on vienne t’arracher ton travail”. En tout cas, “ (…) il faut aussi arrêter et s’unir”.

On constate que le racisme prend sa source dans le passé esclavagiste et colonialiste de l’humanité, qu’il est nourrit par les inégalités économiques entre les Etats et qu’il se ramifie au sein des communautés grâce à des fléaux comme l’ethnocentrisme, la xénophobie et le régionalisme. Mais, est-ce possible de mettre fin à ce phénomène.

Une bataille à gagner : Les armes pour gagner la bataille contre le racisme

Rudy Casbi est explicite : “il y a moyen de gagner la bataille”. Trois possibilités semblent nécessairement envisageables pour endiguer le problème des discriminations raciales : la bataille de l’influence culturelle puis l’éducation et l’entrepreneuriat.

Le racisme vu par les noirs - Rudy Casbi pense qu'il faut gagner la bataille culturelle et économique

“Tant que la bataille culturelle, de l’économie ne sera pas gagnée, il n’y aura pas de facilité pour résoudre le problème de racisme. Ce sont les africains qui doivent changer cette image des femmes et des hommes noirs. Il faut qu’on se révèle au monde et à nous-mêmes.”

Plus de 60% des enquêtés pensent que l’éducation à la base est l’action à mener pour mettre fin au #racisme.

Il explicite avec un exemple qui démontre combien est-ce que la façon dont l’éducation des jeunes africains n’est pas favorable au développement du continent.

L'entrepreneuriat, une des solutions contre le racisme selon Rudy Casbi

“L’histoire d’Ajavon, c’est aux africains de la raconter. Si vous dites à un africain de faire de la télé pour gagner 100000 Euros  (référence à l’émission Qui veut être mon associé ?), ils n’ont pas ce temps. Ils ont le temps pour faire du poisson, de la tomate et le revendre. Il faudrait que les grands entrepreneurs du continent racontent leurs histoires pour les autres jeunes ou même les étrangers qui souhaitent investir puissent réussir”. 

Certes, l’aspect économique et culturel est un pan de la bataille contre le racisme. Assa Traoré le reconnait et pense même qu’” Il ne faut pas abandonner la diaspora, qui investit dans le développement du pays aussi. (…) La diaspora doit être aidée, accompagnée. Il faut les aider à revenir au pays en leur créant des facilités, surtout des facilités sur le plan économique”. Mais la principale solution pour remédier définitivement aux discriminations raciales selon elle est l’indépendance réelle et véritable de l’Afrique.

 “L’Afrique a eu son indépendance, mais elle n’en a eu que la photocopie”. Ce sont par ces mots de Tiken Jah Fakoly qu’elle justifie la nécessité pour les Africains d’aller “prendre leur indépendance”

 “La jeunesse doit prendre le dessus et s’engager politiquement. Il faut commencer à réclamer ce qui nous revient de droit. (…) Il y a des dirigeants qui sont morts parce qu’ils se battaient pour cette indépendance. Oui, mais on n’a pas le choix si on veut arrêter le racisme. Il faut bloquer nos richesses et les empêcher de venir les piller comme ils faisaient au temps de l’esclavage. Le peuple doit se lever.

Racisme vu par les noirs - Assa Traoré veut renverser le système de discriminations raciales

Ça peut paraître choquant ce que je dis : aujourd’hui il faut renverser le système. mais on peut manifester, on peut tout faire mais il faut l’armée aussi. Si nous on manifeste et que eux ils sont en face pour nous tirer dessus, on n’y arrivera pas. Pourquoi est-ce que nous on ne ferait pas une révolution aujourd’hui, en 2020. Toute l’Afrique fait une révolution pour changer les choses.”

C’est avec conviction qu’elle ajoute “Je pense que toi et moi, nos vies vont changer. On va nous regarder autrement. T’auras une sorte de puissance. C’est clair qu’il y aura moins de racisme.”

Hormis ces propositions, il faut déjà commencer à signaler les comportements racistes et les différentes discriminations dont on fait l’objet ayant pour cause la race. 67,6% des enquêtés affirment ne pas savoir où signaler le racisme. Et pourtant, plusieurs solutions s’offrent aux victimes de discriminations raciales : porter plainte, demander l’aide et l’appui d’institutions spécialisées dans la lutte contre le racisme (la Commission Béninoise des Droits de l’Homme par exemple). Il vous est possible de vous rapprocher des organisations ou associations oeuvrant dans ce sens pour bénéficier de leur soutien : ONG ALCRER, SOS Racisme

Retenons que la question du racisme est loin d’être inexistante en Afrique et que les enjeux qu’elle soulève sont importants et qu’ils méritent d’être pris en compte. A la base, on est tous des gens. Donc, pour ne pas mourir ensemble comme des idiots, apprenons à vivre ensemble comme des frères.

Foumilayo ASSANVI

11 Replies to “Le racisme vu par les noirs”

  1. Très bon article, bien rédigé et bien dit. En bref, assez de vérité. Ensemble mettons fin à fléau. Merci pour ce beau travail, cher condisciple ASSANVI.

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  2. Tu as fait un bon développement. La partie qui retient plus mon attention est là où le racisme est observé entre nous les noirs. Il faut vraiment qu’on soit main dans la main afin de pouvoir gagner cette lutte.
    Merci pour ton travail ! 🤝

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