Rap juridique : le droit dans le rap

Maîtres Ninho, Nekfeu, Damso et Lorenzo entre autres sont nos guides dans l'univers du rap afin de découvrir le droit du point de vue des maîtres de la punchline

Musique de voyous et de chenapans, le rap est souvent décrié dans la société bien que très apprécié chez les jeunes. Les interférences entre droit et rap sont certainement minimes ou du moins subtiles pour ne pas être suffisamment connues. Ce qui est non moins sûr, c’est qu’elles existent. Nous vous proposons d’imaginer que nous étions en studio, de prendre le micro, de prononcer deux interjections « Yeah Yo » et d’éjecter tout votre flow en parlant de droit. Même si nous faisons extrêmement confiance à votre imagination, nous vous avons néanmoins concocté un petit aperçu de ce qu’est le droit dans le monde du rap.

Les rappeurs et la règle de droit

« Il y a des limites à ne pas dépasser pour ne pas avoir les poignets serrés par les bracelets »

Lefa – Quelques Minutes , extrait de l’album Monsieur Fall

affirmait Lefa dans Quelques Minutes.

Il reconnait le caractère impératif de la loi et la nécessité de la respecter sans quoi des sanctions s’en suivront. Si ce fait est rarement contesté, plusieurs autres aspects sont diversement appréciés dans l’univers du rap. Une critique du système de connaissance du droit par les justiciables est émise dans le morceau Tricheur, extrait du dernier album Les Etoiles Vagabondes de Nekfeu pour signifier le manque d’information des justiciables sur leurs droits.

« La première fois qu’ils te lisent tes droits, c’est quand ils t’arrêtent »

Nekfeu – Tricheur feat. Damso, extrait de l’album Les Etoiles Vagabondes

En écho à cette phrase de Nekfeu, on a certainement tous dans nos souvenirs cette phrase culte prononcée par les inspecteurs de police quand ils arrêtent un suspect : « Vous avez le droit de garder le silence, de faire appel à un avocat… Tout ce que vous dirai sera retenu contre vous ». En même temps, la réponse juridique à cette critique du rappeur est la présomption irréfragable de connaissance de la loi : « Nemo censetur ignorare legem » (nul n’est censé ignorer la loi).

Nekfeu poursuit sa critique dans un autre morceau du même album en critiquant la sévérité de la loi vis-à-vis de certaines infractions au détriment d’autres :

« Les gens de mon pays vivent dans le déni (…) Des bicraveurs (dealers/vendeurs de drogue) jugés comme pour un crime et des pédophiles jugés comme pour un délit ».

Nekfeu – Voyage léger avec Niska, extrait de l’album Les Etoiles Vagabondes

On peut dire sans risque de se tromper que Nekfeu ne s’est pas trompé sur ce coup, car le Code Pénal sanctionne clairement ces deux infractions de façon différente. La pédophilie est punie d’une peine de 3 à 5 ans et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 (article 554 du Code Pénal), alors que la commercialisation de stupéfiants est punie d’une peine d’emprisonnement de 5 à 15 ans d’emprisonnement et d’une amende allant de 5 à 10 millions de francs CFA (article 961 du Code pénal).

Lorenzo dira même dans Ah c’est cool

« Pédophiles ou dealers, c’est pareil pour la loi »

Lorenzo – Ah c’est cool, extrait de l’album Sex in the city
Rap juridique : Lorenzo dit " Pédophiles ou dealers, c'est les mêmes pour la loi"

En résumé, vendre de la drogue est plus sévèrement puni que la pédophilie. Est-ce juste ? A chacun de se faire son avis.

Si l’on s’en tient à ces exemples, il faut constater qu’ils considèrent les lois comme des réceptacles de l’injustice.

C’est peut-être la raison pour laquelle ils n’ont pas de mal à reconnaître qu’ils enfreignent parfois la loi. C’est du moins ce qu’on peut tirer de certaines phrases de leurs morceaux. Les exemples sont légions. On peut citer Ninho dans Mamacita : « Vie de bandit, vie de gros bonnets, mais sois silencieux sur tout ce que j’ai commis (…) parce que j’suis un traficante de la calle qu’un jour je peux m’faire capturer par les mbila (policier en lingala) » ou encore Jul dans Temps d’avant « Ça vide de l’illicite. Ça vide les tiroirs pour acheter du pain »

Extrait du morceau Tes parents de Leto en featuring avec Ninho
*bicrave : vente de drogue

L’une des branches du droit les plus critiquées par les rappeurs est le droit fiscal. On pourrait croire qu’ils ont un problème avec les impositions. On en a pour preuve cette punchline de Damso dans Ipséïté

«  Maman, j’ai fait mon premier million, mais j’ai toujours pas payé les impositions (nan,nan,nan). J’me demande combien ils vont me retirer. Aurais-je assez pour vivre dans de bonnes conditions ? »

Damso – Ipséité, extrait de l’album Ipséité

L’interrogation de Damso dans ce morceau est non seulement une critique du système fiscal qu’il trouve pompeux, mais également injuste au point où il en est à se demander s’il pourra vivre dans de décentes conditions. Cette même idée se retrouve dans le morceau Nique la BAC de Lorenzo

« J’veux faire d’l’argent, duper l’Etat survole le fisc et toutes les lois ».

Lorenzo – Nique la BAC, extrait de l’album Sex in the city

Lorenzo veut donc “duper l’état” et “survoler l’admninistration fiscale” en commettant une ou plusieurs fraudes. De plus, l’Empereur du Sale veut survoler, enfreindre toutes les lois justes pour déranger tous les services d’état.

Rap des contrats spéciaux : le contrat vu par les rappeurs

La sphère contractuelle est également très évoquée par les rappeurs entre trahison, alliances et obligations.

«  Non, non, non, non, on ne naît pas égaux (nan)
Aussi sûr que tout contrat commence par négo (oui)  »

Nekfeu – Oui et non, extrait de l’album Les Etoiles Vagabondes : Expansion

selon Nekfeu dans Oui et non. Ce qui n’est pas forcément le cas pour certaines catégories de contrats dans lesquels il est impossible de négocier. On en a pour preuve les contrats d’adhésion comme les contrats d’assurance, les contrats de téléphonie mobile, les contrats d’abonnement…

Les rappeurs conçoivent la conclusion des contrats d’une manière un peu décalée que de la simple rencontre de consentement entre les parties contractantes. À ceux qui veulent contracter avec Ninho, il dit :

« Regarde moi dans les yeux si tu veux parler affaire. Sinon, ça vaut R »

Ninho – Goutte d’eau, extrait de l’album Destin

On n’ira pas jusqu’à dire qu’il a raison, mais en réalité il fait allusion à la bonne foi et à la sincérité. Nekfeu quant à lui rejette toute possibilité pour une obligation d’être assortie d’une condition. Il dit :

Sois sérieux dans le business, pe-petit
Si tu nous dis : « Peut-peut être », nous on traduit : « non »

Nekfeu – Oui et non, extrait de l’album Les Etoiles Vagabondes : Expansion

Ninho continue de parler contrat dans le morceau Paris c’est magique

« Maintenant que c’est nous les tron-pa (patrons), on va revoir les contrats »

Ninho – Paris c’est magique, extrait de l’album Destin

Mais en réalité, il ne suffit pas d’être patron pour modifier les contrats. Le consentement du salarié ou du partenaire co-contractant est également nécessaire pour réaliser des avenants aux contrats initiaux.

Les OPJ et les rappeurs

C’est sans doute le symbole de la justice le plus évoqué, le plus cité par les artistes rappeurs dans leurs morceaux. Les officiers de police judiciaire sont notamment les officiers de gendarmerie, les sous-officiers de gendarmerie, les inspecteurs généraux de police, les commissaires de police et les officiers de police, les inspecteurs de police ou leur correspondant, les brigadiers et les gardiens de paix titulaires du baccalauréat. (voir l’article 16 du Code de procédure pénale)

La description que les rappeurs en font est ambivalente. La plupart du temps qu’ils sont mentionnés, ils sont dénigrés par les rappeurs pour ce qu’ils font (leur travail). Damso disait dans Baltringue

« Tu fais chier les jeunes quand tu fais ta ronde, mais t’oublie que demain tu seras père aussi »

Damso – Baltringue, extrait de l’album Lithopédion
Rap juridique : Damso dit " Tu fais chier les jeunes quand tu fais ta ronde, mais t'oublies que demain tu seras père aussi" en parlant des officiers de police judiciaire

en s’adressant aux flics, condés, shtars, keufs… Ce sont là autant de surnoms attribués aux OPJ par les rappeurs dans leurs morceaux. L’hostilité envers les forces de l’ordre est telle que Sadek ne veut :

 » Pas d’photos avec les keufs. J’ai des principes… « 

Q.E Favelas, Sadek et GLK – Maman ne veut pas, extrait de l’album 93 Empire

« Quand les peines s’écopent, est-ce la faute de ces cops (policier en anglais) ? »

Nekfeu – Ken Kaneki, extrait de l’album Expansion

C’est par ces mots que les rappeurs sont dédouanés par Nekfeu, parce qu’après tout sauf les cas de violences ou bavures policières, s’il n’y a pas d’infractions, il n’y a pas d’arrestation et par conséquent pas d’OPJ.

Des rapports moins conflictuels sont parfois évoqués. C’est dans Smog que Damso affirmera que

« Le succès, c’est quand les flics n’t’arrêtent que pour discuter »

Damso – Smog, extrait de l’album Lithopédion

On peut également se référer à Tôgbè Yéton dans son single Yédouwian qui dit ceci :

Dayi o, policier lè non wli mi. Egbé o, é non blo sécurité nou mi

Tôgbè Yéton – Yédouwian

«eee » entendez ‘avant les policiers m’arrêtait, maintenant ils s’occupent de ma sécurité’

Les OPJ sont les plus cités, mais ne sont pas isolés. D’autres professionnels du droit sont également mentionnés comme les avocats, appelés « baveux » en argot. Ils sont loués par les rappeurs pour leur défense implacable. On peut citer ici Ninho dans Caramelo

« La PJ (police judiciaire) enquête, CR (commission rogatoire) sur CR, c’est nous qu’ils veulent coffrer. Le baveux est puissant, je m’en tire avec du sursis au procès »

Ninho – Caramelo, extrait de l’album Comme Prévu
Rap juridique : Ninho dit " La PJ enquête, CR sur CR. C'est nous qu'ils veulent coffrer. Le baveux est puissant. Je m'en tire avec du sursis au procès"

dans Chino

 » Vice de procédure, gros bisou au baveux »

Ninho – Chino, extrait de l’album Comme Prévu

ou dans Bavard

« Mon avocat fête la bar-mitzvah. Le jour du jugement, j’ne panique pas »

Ninho – Bavard, extrait de l’album MILS 2.0
Rap juridique : Ninho dit " Mon avocat fête la bar mitzvah. Le jour du jugement, j'ne panique pas"

Si les rappeurs n’hésitent pas à traiter de droit dans leurs morceaux, il est plus difficile de retrouver des références explicites au rap dans les textes de loi.

Retenons tout simplement que les rappeurs sciemment ou non parlent de droit ou du moins donnent leur avis sur l’univers juridique, qui n’est pas très tendre avec eux. On se retrouve avec des bribes de rap fiscal, de rap des obligations dans les morceaux de rap que nous écoutons ou pas. De toute façon, cet exposé justifie et prouve les nombreuses références au droit dans le domaine musical, plus précisément de la musique urbaine.

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